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Entretien avec Abdessadeq El Glaoui, auteur du livre Le Ralliement
“El Glaoui était un héros”

L’objectif premier de Abdessadeq El Glaoui, fils du plus célèbre des pachas marocains, est d’abord d’apporter son éclairage de témoin oculaire sur les dernières années du Protectorat français au Maroc. Pour lui, Thami El Glaoui est un patriote dupé par les autorités françaises de l’époque.

Propos recueillis par
Chifaâ Nassir - Maroc Hebdo


glaoui fils

• Maroc Hebdo International: Pour quelles raisons avez-vous écrit ce témoignage?
- Abdessadeq El Glaoui: C’était un impératif de conscience. Fixer pour la mémoire des événements de cette phase cruciale de l’histoire de notre pays, et en donner une image aussi franche et aussi objective que possible.
• MHI: Vous voulez défendre votre père?
- Abdessadeq El Glaoui: L’objectif de ce livre est d’apporter un témoignage sur l’histoire, en relatant des faits historiques exacts et très importants, dont je fus témoin. Cependant, si en disant la vérité j’arrive à défendre mon père et à expliquer son comportement, c’est tant mieux. Il faut savoir que les Français, jusqu’à la fin, ont continué à tenter de s’appuyer sur le Glaoui, dont ils se sont servis pour monter une conjuration insensée. Aussi, en offrant au Sultan de l’installer en France, ils espéraient construire je ne sais quelle structure qui puisse sauvegarder le maximum de leurs intérêts. Il faut bien le dire: Le retour du Sultan, dès novembre 1955, a déjoué bien des calculs et coupé court à bien des ambitions, et pas seulement françaises.
MHI : Comment expliquez-vous le comportement de votre père ?
- Abdessadeq El Glaoui: Sans vouloir justifier le comportement de mon père, je sais qu’il avait réalisé son erreur et constaté que, aussi bien à l’intérieur du Maroc qu’à l’étranger, cette action funeste soulevait l’indignation de tous. De toutes les façons, ce que j’ai voulu souligner, c’est que le Glaoui, de 1951 à 1955, a vécu, malgré toutes les apparences, dans une souffrance morale intense et qu’il n’a trouvé de répit qu’en revenant à son allégeance à Sidi Mohammed Ben Youssef, dont il a, par son ralliement surprenant pour beaucoup, précipité la restauration. Le pacha El Glaoui a demandé le retour de Mohammed V, et a obtenu son pardon pour son égarement. Chose que le Roi n’a pas hésité à lui accorder. Je pense qu’il est de mon devoir, moi qui ai vécu aux côtés d’un personnage important de l’histoire, de le faire découvrir à ceux qui ne connaissent pas tout de lui.
• MHI : Racontez-nous comment s’est déroulé ce ralliement ?
- Abdessadeq El Glaoui: Ce revirement spectaculaire du Glaoui a été obtenu dans des circonstances, il faut le dire, assez dramatiques: invité à se présenter le 25 octobre 1955 devant le Conseil des Gardiens du Trône, mon père allait, sans le savoir, en reconnaissant ce conseil, servir à mettre en place une structure qui n’est pas susceptible à mon avis de résoudre le véritable problème. En effet, mon livre, Le Ralliement, décrit la manière dont a été réalisé ce véritable coup de théâtre, avec quelques amis du parti de l’Istiqlal: Haj Ahmed Bennani, Abbas El Kabbaj, et Ahmed Guessous. Ainsi, nous avons déjoué, ensemble, ce que je considérais à l’époque comme une désastreuse machination. Nous avons convaincu Haj Thami El Glaoui qu’il n’y avait pas une meilleure solution que le retour du Sultan Mohammed V. Nous l’avions convaincu, et c’était similaire à une bombe pour beaucoup de personnes qui s’attendaient à ce que cette brouille dure. A l’époque, j’avais trente ans, et je me lançais dans une opération délicate. Le délai dont nous disposions était très court: entre le 22 octobre, date de l’invitation de Haj Fathmi Ben Slimane, et le 25 octobre, date fixée par lui pour la visite du Glaoui au Conseil des Gardiens du Trône. Il nous a fallu donc nous activer pour convaincre le pacha de déclarer publiquement son ralliement au retour immédiat de Mohammed V, juste après cette visite.
• MHI : Comment la famille El Glaoui a-t-elle toujours été proche de la famille royale?
- Abdessadeq El Glaoui: Le Pacha El Glaoui était très proche de Mohammed V. Et, depuis toujours, notre famille a eu des liens très forts avec la famille alaouite. Nous sommes demeurés attachés à eux par des liens basés sur l’allégeance et le respect que notre famille leur a toujours témoignés, dans toutes les circonstances. Nos relations sont vraiment très anciennes. Mon père m‘envoyait souvent le représenter à des fêtes organisées au Palais, lorsqu’il était malade ou avait un empêchement. C’est ainsi que j’ai tissé, à mon tour, des liens, avec feu Hassan II, qui avait presque mon âge. J’ai également vécu un moment fort lorsque j’ai été reçu par Sidi Mohammed Ben Youssef, le 8 novembre 1955, à Saint-Germain en Laye.
• MHI : Quelle est l’importance des documents qui figurent dans ce livre?
- Abdessadeq El Glaoui: Les documents qui illustrent ce livre constituent une preuve des relations anciennes de notre famille avec la dynastie alaouite. D’autres sont pour démontrer les relations entretenues par mon père avec des personnalités françaises, marocaines ou américaines, prouvant par là son civisme et son amour pour son pays quoi qu’on ait pu dire de lui.
• MHI : L’histoire témoigne de la trahison de votre père, qui a indigné tous les Marocains.
- Abdessadeq El Glaoui: A mon avis, cela doit être dépassé. Je trouve que ça ne sert à rien de parler de quelqu’un en mal après sa mort. Je ne suis pas en train de nier ce qu’a fait mon père, ou de justifier son comportement. Cependant, il ne faut pas perdre de vue tout ce qu’il a fait de bien autour de lui. C’était une dérive pour lui, qu’il a regrettée, et je pense que le meilleur exemple à suivre est celui de Sidi Mohammed Ben Youssef, qui n’a pas hésité à pardonner mon père, quand ce dernier le lui a demandé. Feu Hassan II, après lui, a continué à traiter notre famille avec la même façon, et n’a plus évoqué cet acte du passé.
• MHI :Comment avez-vous procédé pour expliquer le déroulement des évènements dans votre livre?
- Abdessadeq El Glaoui: En ce qui concerne le déroulement des événements de 1950 à 1955, je me suis permis de brosser un tableau qui situe le personnage du Glaoui, mon père, dans l’environnement qui a été le cadre de sa vie. Ainsi, son itinéraire, depuis le début du siècle dernier jusqu’en 1956, serait peut-être mieux compris. La phase importante de mon discours couvrira bien entendu la crise qui a bouleversé le Maroc avec la déportation du Sultan Sidi Mohammed Ben Youssef. Autant Juin et Guillaume représentaient un durcissement après le fameux discours de Tanger, dans l’intention de perpétuer la domination de la France sur le Maroc, autant la France s’inclinait progressivement devant la revendication nationale du retour du Souverain: Il était évident pour tous que Sidi Mohammed Ben Youssef n’avait pas cessé de régner sur les cœurs de ses sujets.
• MHI : Quels sont les souvenirs forts que vous gardez de votre père ?
- Abdessadeq El Glaoui: Le pacha nous a élevés, mes frères et moi, dans une éthique religieuse et morale. Cependant, il y avait une grande distance entre nous: C’était un homme fort, au caractère impressionnant, qu’il était difficile de contredire. Ce n’est qu’en 1954 que je me suis rapproché de lui, jusqu’à lui servir de secrétaire et de l’accompagner dans quelques-uns de ses voyages, notamment à Londres en 1954, à l’occasion de sa rencontre avec Churchill. J’ai pu ainsi exercer sur lui un peu d’influence. J’ai pu le rapprocher des média et lui faire suivre, en lui traduisant les journaux, l’évolution de la situation au Maroc.
Chifaâ Nassir - Maroc Hebdo