Les Grecs avaient deux mots pour définir la devinette
: les mots ainos et ainigma, quand ils sont adjoints, ils signifient
le chiffrement du sens. La devinette amazighe se présente donc sous
forme d’un texte qui produit des effets sémantiques, des simulacres
de symboles qui se dissolvent sitôt le décryptage effectué.
Pour comprendre la devinette amazighe, il faut a priori comprendre
la langue qui la compose, et a posteriori maîtriser le foisonnement
des significations qui s’en dégagent. Mieux encore, il faudrait
découvrir la richesse de son lexique qui n’est autre que celui de
la langue ordinaire, mais dont l’emploi acquiert un autre rôle en
utilisant les noms d’animaux pour les objets, les astres pour les
parties du corps, l’homme pour les artefacts ; autant de procédures
et de techniques montrent la préciosité de la culture amazighe.
Pour déchiffrer la devinette, il ne faut pas comprendre ce
vocabulaire, bien au contraire, il faut dépasser son apparence extérieure
et embrasser ce qu’il cache et dissimule. Ce procédé de décryptage
permet de dégager certains liens importants entre les segments de
la structure, et de déterminer à coup sûr l’identité de l’entité
à deviner. De là l’importance de comprendre la langue utilisée par
le questionneur. Le rapport entre la question et la réponse serait
du genre qui relie le fœtus à sa maman. Comprendre cette relation
c’est comprendre les mots qui composent la devinette, autrement
dit comprendre la langue qui est transcendée.
A cet égard, on constate qu’il y a un lien étroit entre la
compréhension de la langue et l’opération du codage. Il est par
ailleurs important de noter que la langue est un moyen d’expression
qui reflète l’identité du mot-référent à deviner.
Comme il a été mentionné plus haut, la devinette se distingue
par l’utilisation d’une langue spéciale ; si par exemple on prend
la définition des trois périodes marquant l’âge de l’être humain,
on constatera une définition particulière. En effet, pour parler
des trois périodes marquant l’âge de l’être humain, le questionneur
les définit par les périodes de la journée à savoir le matin, la
mi-journée (midi) et l’après-midi « sbeh wzynhar waâcci ».
Cependant, entreprendre de réduire cette structure de la joute
oratoire à la langue spéciale serait sans importance si on ne prend
pas en considération l’autre rive de la devinette, le signe linguistique
en l’occurrence. Serait-il possible de dire que la relation entre
la question et la réponse, entre le signifié et le signifiant est
arbitraire et contingente ? Le concept reflète-t-il toujours l’image
acoustique du référent ? Toute la question, telle qu’elle est posée,
tourne autour de ce qui relie la question à la réponse. Un tel phénomène
suppose, en effet, que l’on considère comme immuable le système
du rapport du signifiant et du signifié.
Or, si on considère les devinettes amazighes et particulièrement
la relation entre la question et la réponse, on constatera que le
signifié peut refléter d’autres images acoustiques que celle du
signifiant. Si on prend à titre d’exemple le terme aberrad, on constate
qu’il a une acoustique, une forme et une fonction spécifiques, tel
est son emploi ordinaire dans la langue, quant à son emploi dans
la devinette amazighe, le terme aberrad a pour image acoustique,
une description spéciale.
En effet la théière est décrite comme un homme portant une
djellaba « ghari yidjiwn iqba rqb nn-s (il mange et une fois rassasié,
il remet son capuchon), comme un grand-père « ghari ij n jeddi yiggwo
y issudum » (j’ai un grand-père qui marche en s’égouttant) ou encore
comme un fquih « ghari ijj n rfqih unudnn as d imhdan (j’ai un fqih
entouré par des élèves). A la lumière de ce qui a été présenté,
le problème est d’élucider le phénomène du décryptage des signes
composant la devinette amazighe.Pour toutes ces raisons (images,
symboles, tropes, tradition et culture), il est légitime de poser
la question du rôle de la devinette dans le cadre socioculturel.
Des données psychologiques expliquent, en effet, l’engouement et
l’intérêt des individus pour ce procédé ludique, que l’on participe
directement ou que l’on soit de simples auditeurs.
La devinette assure, en plus du divertissement, un effet instructif.
On y découvre de l’harmonie, de l’équilibre rythmique, de la richesse
lexicographique et sémantique et des calembours, etc., et tout cela
est défini par un texte minimal. La particularité des devinettes
amazighes réside dans leur impact sur la psychologie de l’être humain
; on ne compte pas seulement les adultes parmi les participants
à ce genre de joute oratoire, mais les enfants y participent aussi
avec un grand intérêt.
Enfants ou adultes, les participants sont toujours impressionnés
par cette espèce de simulation de la réalité où la devinette fait
revêtir les objets d’une autre parure, les animant et assimilant
le réel à l’imaginaire.
Peu importe si l’auditeur prend part directement au jeu ou
s’il est simplement à l’écoute, il aura l’impression d’obtenir à
la fin une récompense, en ayant autant de clés pour décoder la ou
(les) devinette (s) amazighe (s).
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